Nicolas Constans, Journaliste scientifique
Dans Le Secret de la Licorne, l’un des Dupondt, tout à son enquête, laisse reposer sur sa hanche son poing muni d’une loupe. Mal lui en prend, car celle-ci capte les rayons du soleil et commence à enflammer son fond de pantalon. Le désagrément est cuisant.
Une idée fixe chez Hergé, que cette loupe qui brûle : c’est avec elle que Tintin, au Congo, se défend d’un éléphant belliqueux, avec elle qu’il allume, dans Le Temple du soleil, la pipe du capitaine Haddock, alors qu’ils sont promis, dans ce même album, à un bûcher mis à feu de cette façon. Et Tintin de rappeler, à cette occasion, le célèbre siège de Syracuse, où Archimède fit enflammer les galères romaines avec des miroirs ardents.
et essayez de l’enflammer avec une loupe.
Que se passe-t-il ?
Dix secondes, une minute, une demi-heure peuvent s'écouler, mais il faut bien se rendre à l’évidence : rien ne se produit. Vous avez beau vous positionner bien face au soleil, ça ne marche pas…
D’ailleurs, aucun des récits les plus détaillés du siège de Syracuse – ceux de Polybe, Tite-Live et Plutarque – ne mentionnent de miroirs ardents. Suivront des siècles d’essais infructueux, de doctes traités sur le sujet, et le scepticisme de Descartes qui pense dans sa Dioptrique (1637) qu’ils “devaient être extrêmement grands” sinon imaginaires. Pourtant, au siècle suivant, en mars 1747, Buffon réunit solennellement l’Académie des Sciences. Il fait disposer une planche de sapin goudronnée à une cinquantaine de mètres d’un curieux appareil : un ensemble de 148 petits miroirs, reliés entre eux par des charnières (dont deux exemplaires existent d’ailleurs toujours et sont conservés au Musée des Arts et Métiers, à Paris). Il règle minutieusement le dispositif, et peu de temps après, la planche flambe ! “ Le feu était si violent ”, racontent les témoins, “ qu’il a fallu plonger la planche dans de l’eau pour l’étudier. ” Il réitérera ensuite l’expérience avec d’autres versions de son appareil, fit rougir de la tôle, fondre de l’argent, etc., toujours avec la seule énergie solaire.
Alors, qu’est-ce qui n’a pas marché dans votre tentative ? La loupe, le papier, ou leur disposition mutuelle ? La loupe fait converger les rayons du soleil, soit. On entend parfois qu'il faut réduire l'image du soleil à un point. C'est impossible : le soleil a une taille bien déterminée dans le ciel, donc son image sur le papier aussi. Mais effectivement, plus cette image est petite, plus l’énergie solaire sera concentrée, donc plus la température de cette zone s’élèvera. Et pour qu’elle soit la plus petite possible, il faut d’abord qu’elle soit nette. Ce qui implique d'espacer la feuille et la loupe d'une certaine distance, que l’on nomme la distance focale.
de façon à ce que l’image du soleil soit nette.
Avec une règle, mesurez la distance focale
longueur qui sépare la loupe du papier).
Les loupes usuelles ont des focales comprises entre 2 et 20 cm. Et l’image, justement, est d’autant plus petite que cette distance l’est également. D’autre part, plus la loupe est large, plus elle collecte de la lumière, donc plus grande est l’énergie solaire apportée au papier pour le chauffer.
Si le papier chauffe, sa température va monter. Pas indéfiniment, bien sûr, car si de l’énergie rentre, il en sort aussi, par rayonnement et par conduction. Au bout d’un moment, quand entrées et sorties s’équilibrent, la température sature. C’est là le point crucial : il faut qu’avant la saturation, elle ait atteint la température d’inflammation, qui est, comme Ray Bradbury et François Truffaut nous l’ont appris, de 451 degrés Fahrenheit (232°C). Si l’énergie qui est apportée est insuffisante, ou les pertes trop importantes, elle saturera trop tôt et le papier ne brûlera pas.
Faut-il donc, pour arriver à ses fins, une énorme loupe à toute petite focale ? Dans ce domaine, la Rolls est incontestablement la lentille de Fresnel, qui équipe par exemple l’arrière de certains autobus, permettant au chauffeur de voir très près derrière son véhicule. Mais, à moins que vous n'ayez un autobus à votre libre disposition, votre dernière chance réside dans le papier.
Reprenez vos albums de Tintin : le pantalon des Dupondt qui s’enflamme, est noir. Tout comme la planche de Buffon, puisque goudronnée…Et en été, nous avons chaud en habits noirs, car ils absorbent toute la lumière solaire. Le blanc, au contraire, la renvoie. Et de quelle couleur, n’est-ce pas, est le papier ?
que ressentez-vous ?
Noircissez au feutre ou à l’encre votre feuille,
essayez de l’enflammer.
Sur la peau, la sensation est plus douloureuse sur le point noir. Quant à la feuille encrée, il est possible de l’enflammer en moins d’une seconde. Il en est de même des neiges éternelles : noircies par des gravillons, elles redeviennent simples mortelles…
La portion de la lumière non absorbée par un corps s’appelle l’albédo. Les valeurs très approximatives des albédos de papiers colorés sont : blanc 85 %, jaune 65 %, orange60 %, rouge sombre 45 %, vert sombre 15 %, bleu sombre 10 %, noir 5 %.
Essayez d’enflammer avec une loupe des feuilles de différentes couleurs.
Comment varie le temps d’inflammation avec l’albédo ? Et avec son épaisseur ?
Essayez avec du papier journal, plus fin.
Pensez-vous qu’un incendie puisse être déclenché par un morceau de verre oublié sur des brindilles sèches ?
P. Thuillier, Une énigme : Archimède et les miroirs ardents,
La Recherche, mai 1979, p. 444
"Comment devenir invisible ? Et autres expériences à faire chez soi".
Le rond dans l'évier