Nicolas Constans, Journaliste scientifique
Léonard de Vinci, dans l’un des 13.000 feuillets où il consignait infatigablement sesobservations sur la nature, notait : "L’eau qui tombe en ligne perpendiculaire par un tuyauarrondi sur un lieu plan, tracera une onde circulaire autour de l’endroit percuté ; à l’intérieurde ce cercle, l’eau se mouvra très rapidement et s’étalera en une couche fort mince autourdu point frappé, puis finira par heurter la vague qu’elle a produite qui cherche à retournerau lieu de la percussion."
L'eau s’étale en une mince pellicule dans toutes les directions autour de l’impact. Puis sonniveau remonte assez brusquement. Cette discontinuité trace autour du jet un cercle, queles physiciens nomment ressaut hydraulique. Bien sûr, si le fond de votre évier n’est pasplat, le cercle ne sera pas parfait.
Que se passe-t-il ?
Retournez le moule.
Qu'observez-vous maintenant ?
Dans un récipient, le rayon du cercle diminue au fur et à mesure du remplissage, car lahauteur externe du liquide augmente. À moins de percer un trou dans votre moule, votreressaut disparaît rapidement. Quand le moule est retourné, en revanche, le niveau n’estplus contraint, donc la discontinuité est à peine visible. Mais revenons à Léonard. Sur lacouche mince, écrit-il, l’eau se meut très rapidement.
Pouvez-vous estimer leur vitesse avant et après le cercle ?
Pas de doute : les miettes vont vite sur la couche mince, puis ralentissent après ladiscontinuité. L’eau passe d’une surface étroite (celle du tuyau) à une surface de plus enplus grande (celle du jet qui s’étale dans toutes les directions, en forme, disons, depavillon de trompette). Le débit, la vitesse du fluide multiplié par la surface qu’il traverse,reste constant. Par conséquent, si la surface augmente, la vitesse doit diminuer. Tant et sibien, proposa Lord Rayleigh en 1914, qu’elle finit par atteindre une vitesse critique. Etc’est à cet endroit, selon lui, que le ressaut se forme. Quelle est l’idée de Rayleigh? Peuou prou celle du mur du son. Le frottement de l’air sur un avion produit des ondessonores. Si l’appareil atteint la même vitesse que ces ondes, elles s’accumulent à sonnez, et créent une discontinuité de pression. Mais le phénomène existe sans avion.Dans un vent supersonique, comme, par exemple, celui d’une soufflerie, il suffit d’unepetite perturbation ou d'une impureté pour que des ondes sonores soient générées,qu’elles s’accumulent et créent une discontinuité. C’est un processus analogue qui est àl’oeuvre dans le ressaut hydraulique, à la différence que le rôle des ondes sonores esttenu par des ondes de surface.
créez un obstacle avec la pointe d’un clou ou d’un crayon.
Qu’observez-vous ?
Le sillage ainsi créé prend la forme d’un triangle : c’est exactement la même structure –une onde de choc, en fait – que l’on observe à l’avant d’un avion qui passe le mur duson. Le problème, c’est que cette théorie ne permet pas de reproduire précisément lesrésultats expérimentaux, notamment la variation du rayon avec le débit. Cependant, il ya un paramètre que Rayleigh ne fait pas jouer dans sa formule, la viscosité.
Il est à peine visible : expérimentalement, en effet, le rayon est d’autant plus petit que lefluide est visqueux. En 1964, Watson2 montre que dans la zone où le fluide frotte sur laparoi, la couche limite, les effets visqueux ne sont pas du tout négligeables. Et plus lefluide s’éloigne de l’impact, plus il a subi de frottements, donc plus cette couche limite estépaisse. Certains, comme Robert Godwin, du Laboratoire de Los Alamos, proposentdonc simplement de situer la discontinuité à l’endroit où cette couche limite, à forced’épaissir, atteint la surface. Les prédictions sont un peu meilleures, mais on ne sait pasjustifier une telle hypothèse. Afin de distinguer les effets visqueux et ceux de typeRayleigh, Daniel Bonn, du laboratoire de physique statistique de l’ENS, vient de lancerune expérience avec un liquide de viscosité quasi-nulle, l’hélium superfluide.
Pour Rayleigh, le rayon du cercle est proportionnel : à petit débit, au débit divisé par lecarré de la hauteur du jet ; à haut débit, au carré du débit divisé par le carré de la hauteurdu jet.
Pour Godwin, le rayon du cercle est proportionnel au débit à la puissance deux-tiers etinversement proportionnel à la racine cubique de la viscosité.
Avec un verre gradué, une montre et une règle, mesurez le débit de votre robinet et lerayon du cercle.
Quelle relation entre les deux obtenez-vous ?
Votre évier est-il plutôt Godwin ou plutôt Rayleigh ?
Y. Bréchet et Z. Néda, American Journal of Physics, 67, 723, 1999
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Le Soleil allume-feu